Chers frères et sœurs, fils et filles du Seigneur, merveilleuses Créatures de Dieu, bien-aimés du Seigneur,
Avant d’aspirer à réformer autrui, il convient de commencer par se corriger soi-même. Telle est la leçon essentielle que nous livre l’évangile de ce jour. Il nous arrive, en effet, avec une facilité déconcertante, de juger nos semblables, de scruter leurs imperfections, de nous irriter de certaines de leurs attitudes, en omettant que nous sommes, à notre insu, la cause des mêmes agacements chez ceux qui nous côtoient. Que de temps, d’énergie et de paroles dilapidés à vouloir que l’autre nous ressemble, qu’il soit autre que ce qu’il est !
Cette inclination à façonner autrui à notre image ne nous épargne point dans l’Église. Nous nous offusquons des différences de pratique, des divergences de sensibilité, et nous aspirons à une uniformité illusoire, oubliant que l’Église du Christ est riche de sa diversité. Avons-nous oublié que la Révélation elle-même nous est parvenue sous quatre évangiles, et que le Seigneur, dans sa divine sagesse, n’a pas choisi un unique apôtre, mais bien douze, aux tempéraments et aux horizons variés ? Il est raisonnable de penser que cette première communauté ne fut pas exempte de tensions, d’incompréhensions et de jugements. Cela nous rassure, si l’on peut dire : la diversité et les divergences ne sont point des failles, mais des pierres d’angle sur lesquelles s’édifie l’Église.
Un mot, cependant, surgit avec insistance dans ce passage d’évangile : frère. Ce n’est pas l’œil d’un étranger que nous sommes enclins à scruter, mais celui d’un frère. Or, que signifie être frère ? Le Christ le rappelle à ses disciples : « Vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner, et vous êtes tous frères. » (Mt 23, 8). Le temps que nous vivons n’est pas celui du jugement. Un seul est juge, Dieu notre Père, qui seul sonde les cœurs et connaît les desseins les plus secrets des hommes. Se poser en juge de son frère, c’est usurper la place divine. Non, nous sommes encore dans le temps de l’écoute et de l’apprentissage, dans cet état d’élève humble qui aspire à se laisser instruire par le Seigneur. « Le disciple n’est pas au-dessus de son maître », nous enseigne Jésus, mais « une fois bien formé, chacun sera comme son maître. » (Lc 6, 40).
Nous sommes des frères et des sœurs en chemin, progressant à notre rythme, avec nos fragilités et nos forces, parfois animés d’une confiance assurée, parfois ralentis par le doute. Nous trébuchons, nous errons, mais nous avançons, car telle est la condition de l’homme pèlerin et pécheur. L’apôtre Paul nous exhorte à la persévérance : « Soyez fermes, soyez inébranlables, prenez une part toujours plus active à l’œuvre du Seigneur, sachant que votre labeur n’est pas vain dans le Seigneur. » (1 Co 15, 58).
Ainsi, notre priorité ne saurait être d’épier l’œil de notre frère, mais bien de veiller sur notre propre cœur, sur notre âme, car c’est du plus intime de l’être que surgissent « les bons ou les mauvais fruits. » (Lc 6, 45). Jean Cassien, dans ses Conférences, compare l’âme humaine à un moulin qui ne cesse jamais de tourner : il est impératif de lui fournir du bon grain, autrement elle broiera tout ce qui lui parvient, fût-ce les préoccupations passagères, les bavardages stériles et les jugements hâtifs, produisant ainsi non des fruits de justice, mais des épines et des ronces.
Quel est donc ce bon grain susceptible de nourrir notre âme et d’en faire jaillir des fruits de charité et de vérité ? La Parole de Dieu, lue, méditée, intériorisée. Moins nous nous en nourrissons, plus nous laissons d’autres paroles envahir notre cœur. Mais si nous nous abreuvons à cette source vive, elle opère en nous une transformation profonde, nous conformant peu à peu au Christ, jusqu’à pouvoir dire avec saint Paul : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. » (Ga 2, 20).
Nous voici sur le seuil du Carême, temps propice à cet exercice de l’âme. Ne l’abordons pas en solitude, mais en fraternité. Retrouvons-nous autour de la Parole de Dieu, par le biais des supports proposés par le diocèse, S’il te plaît, donne-moi un quart d’heure ou du livret du CCFD-Terre Solidaire, les mercredis après-midi. Ce partage fraternel sera l’occasion de mieux connaître ceux que nous croisons à la messe, et de percevoir en eux non des adversaires, mais des compagnons de route, désireux comme nous de croître dans la vie nouvelle inaugurée par le Christ. Puisse le Seigneur nous aider à construire une communauté plus fraternelle. Amen !
P. Placide Esse Loko, votre curé